Pour expliquer l’intérêt de son projet. Ambroise Wonkam utilise l’exemple des deux maladies qu’il connaît sans doute le mieux. Ce sont elles qui l’ont mené à cette idée qui pourrait bien révolutionner la recherche scientifique. La première, la drépanocy­tose. qui provoque la déformation ou la dégradation des globules rouges, est la maladie génétique réces­sive (qui nécessite la contribution des deux parents) la plus courante chez les humains ; 80 % des enfants qui naissent avec cette maladie sont africains.

Le professeur camerounais, qui enseigne la géné­tique médicale à l’université du Cap. en Afrique du Sud, a également travaillé sur la surdité. Au sein des populations européennes, la moitié des cas sont provoqués par un gène qui n’explique aucun des cas recensés sur le continent africain. En comprenant cela, Ambroise Wonkam en prend alors conscience : « L’Afrique est la nouvelle frontière à dépasser pour découvrir de nouveaux gènes et de nouveaux variants. » Dans un texte publié au début de 2021 dans la prestigieuse revue scientifique Nature, le généticien expliquait que, sur l’ensemble de l’ADN séquencé dans le monde, seuls 2 % des génomes humains ana­lysés correspondaient à ceux de personnes africaines. « Pourtant, rappelle-t-il, l’Afrique, berceau de l’huma­nité. contient plus de diversité génétique que n’im­porte quel

autre continent. Les connaissances et les applications de la génomique n’ont que trop peu pro­fité aux pays du Sud. en raison des inégalités dans les systèmes de soins de santé, de la faiblesse des effectifs de recherche locaux et du manque de financement. »

En réalisant le séquençage de quelque 3 millions d’Africains, Ambroise Wonkam espère donc rétablir une équité dans le traitement des malades du conti­nent. Il entend aussi « rééquilibrer la compréhension de la médecine génétique », et participer à l’avancée de la santé et de la recherche au niveau mondial à tra­vers le projet « Trois millions de génomes africains » (3MAG), né de ses propres travaux sur la manière dont les mutationsgénétiquesdes Africains contribuent à certaines maladies.

Coût du projet: 4 milliards de dollars Le président de la Société africaine de génétique humaine se réjouit de voir le retentissement qu’a eu ce qui n’était au départ qu’une « idée folle ». Depuis la parution de l’article de Nature, les réunions avec les professionnels de la santé, les industries génétiques, la communauté scientifique, les organisations de recherche et les bailleurs de fonds se sont multi­pliées. Le scientifique a participé, à la mi-novembre, à une rencontre avec le Centre africain de prévention

« Le continent est la nouvelle frontière à dépasser pour découvrir de nouveaux gènes et de nouveaux variants. »

et de contrôle des maladies (Africa CDC), après avoir présenté son projet au comité scientifique de l’Organisation mondiale de la santé, quelques semaines plus tôt.

Selon le spécialiste, il faut compter « au mini­mum » 1500 dollars par séquençage et stockage de génome, soit près de 4 milliards de dol lars pour l’ensemble du projet, qui s’étalerait sur dix ans. Une action d’une telle ampleur impliquerait obli­gatoirement le soutien des États du continent et une coopération accrue entre les scientifiques des pays concernés. Mais Ambroise Wonkam se veut optimiste : « Notre projet est certes une odyssée humaine, mais il est aussi un impératif scientifique pour l’humanité, car il permettra de traiter vérita­blement la question de l’équité dans le monde. » > Marième Soumaré